YVES GRATTON EST PROFESSEUR À L’INSTITUT NATIONAL DE LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE DEPUIS NOVEMBRE 1993 ET FUT DIRECTEUR PAR INTÉRIM DU CENTRE EAU TERRE ENVIRONNEMENT DE L’INRS D’OCTOBRE 2013 À MARS 2014
- M. Gratton, vous avez une formation en océanographie physique, quel genre de recherches faites-vous?
J’étudie principalement la circulation dans les océans et les régions côtières : les courants marins, les processus de mélange ainsi que leurs impacts sur la production biologique. Je m’intéresse aussi aux lacs. Par exemple, nous tentons de prédire les habitats thermiques des salmonidés, c’est-à-dire de déterminer quels sont les endroits que les truites préfèrent. Ce sont quelques-unes des applications pratiques de ce genre d’étude. - Dois-je comprendre que vos sorties sur le « terrain » se font principalement en bateau?
Oui, 100% de nos expéditions se déroulent à partir d’un bateau de la garde côtière. Au début, elles avaient lieu sur le fleuve Saint-Laurent mais depuis 1997 nous allons dans l’Arctique. - Quel genre d’expédition en mer?
Nous partons de Québec vers la fin du mois de juillet, lorsque la voie maritime est libre de glace. Nous nous dirigeons vers la mer de Baffin en passant par les fjords du Labrador, puis nous nous rendons jusqu’à la mer de Beaufort. Le trajet dure entre huit et dix jours dépendamment des conditions météorologiques. Certaines années, le bateau s’est amarré pour passer l’hiver sur place (2003-2004 et 2007-2008) alors les scientifiques effectuaient des rotations à toutes les six semaines en même temps que l’équipage (marins et commandant). Un avion était nolisé pour le transport et par la même occasion, il apportait de Québec les fruits et légumes frais nécessaires. - Je suppose que vous recueillez des échantillons, de quelle façon sont-ils conservés?
Nous recueillons des échantillons d’eau à diverses profondeurs pour différents tests : oxygène dissous, pH, turbidité, etc. Nous cherchons des marqueurs comme le rapport oxygène 18/ oxygène 16 qui est la signature de la provenance l’eau. Les teneurs en chlorophylle et en phytoplancton sont aussi déterminées. Certaines analyses sont effectuées directement sur place comme la salinité. Deux principaux procédés de conservation des échantillons sont utilisés. D’abord, les échantillons d’eau de plus petits volumes sont congelés à bord, certains à -80 ⁰C, d’autres à -4 ⁰C. Tandis que pour économiser l’espace, les plus gros volumes sont filtrés sur le bateau et nous ne conservons que les filtres congelés, pour les analyses de fluorescence, par exemple. - Quels équipements de protection vous sont utiles?
Pour travailler, on utilise principalement une « chienne » (vêtement protecteur habituellement en coton) et des bottes à cap d’acier. Dépendamment des opérations en cours sur les ponts extérieurs, le casque est souvent utilisé et par temps venteux, on utilise aussi des harnais de sécurité pour éviter de basculer par-dessus bord durant les manœuvres qui sont plus risquées comme lorsqu’on descend le treuil au-dessus de l’eau. Lors des analyses effectuées en laboratoires, les protocoles sont les mêmes que sur la terre ferme : si l’on doit manipuler de l’acide ou d’autres produits dangereux, on porte sarrau, gants et lunettes de protection. - Quelles sont les règles de sécurité en vigueur à bord des navires?
La règlementation qui s’applique sur le bateau est très sévère, car ce sont les codes de conduite de la Garde côtière canadienne ainsi que les règles sur le transport des matières dangereuses (TMD) qui s’appliquent. On doit fournir plusieurs mois à l’avance, la liste écrite de tout le matériel dont on aura besoin durant l’expédition. Sur les portes des cabines, on doit inscrire le nom et la quantité des produits dangereux entreposés ou manipulés à l’intérieur. Les rejets acides ou autres sont conservés dans des barils de 45 gallons dans des pièces fermées à clé. De même que les armes à feu qui sont gardées à l’intérieur d’un coffre-fort dans la cabine du commandant. Toutefois, lorsque les équipes doivent sortir sur la glace, on enchaîne les armes sur un support à l’extérieur pour la surveillance des ours polaires. Aucune arme chargée ne doit entrer à bord sous peine d’amende. Quelques aires restreintes sont aménagées pour les fumeurs, le plus loin possible de celles où est entreposé le carburant car, les incendies restent le plus grand danger sur un navire. - Avez-vous quelques anecdotes à partager avec nous?
En voici une qui illustre un peu la discipline qui existe sur le pont et pour rappeler que le commandant est seul maître à bord. Je me souviens d’une année où un étudiant avait pris l’habitude d’enlever son casque de protection lorsqu’il avait chaud. Pour corriger la situation, le capitaine avait donné l’ordre à tout l’équipage de s’arrêter de travailler à chaque fois qu’il retirait son couvre-chef. La situation est rentrée dans l’ordre très rapidement! Mais il ne faut pas croire que toutes ces règles nuisent à l’atmosphère de travail, car même si le capitaine reste intraitable sur la discipline et les règles de sécurité, je suis certain que plusieurs de mes étudiants gardent de très bons souvenirs de ces expéditions. Je me rappelle aussi d’un évènement survenu lorsque nous étions bloqués en mer en attendant la réparation d’un moteur. Le capitaine avait prêté ses nouvelles combinaisons étanches à qui voudrait bien sauter dans l’eau qui devait être à 4oC. Les plus intrépides n’ont pas eu à attendre très longtemps pour qu’une compétition amicale s’organise spontanément! - Qu’avez-vous appris durant toutes ces années de recherche?
J’ai remarqué, et c’est un fait bien connu, que les accidents arrivent plus souvent en début et en fin de quart de travail alors que la vigilance et la fatigue se font la lutte. C’est sûrement pire au nord, car comme vous le savez, là-bas durant l’été, le soleil ne se couche pas vraiment durant la nuit ( http://fr.wikipedia.org/wiki/Jour_polaire ). - Avez-vous un message particulier pour nos lecteurs?
En fait, le point le plus important restera toujours la préparation. Avant l’expédition, tout doit être pensé, les appareils testés, montés et démontés, ça évite les mauvaises surprises. Si on peut graver notre matériel, c’est aussi un atout, car même un simple stylo prend beaucoup de valeur lorsqu’on est à des heures d’avion du prochain poste de ravitaillement! Bref le meilleur outil demeure la bonne vieille liste.
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Merci beaucoup de votre générosité et surtout, bonne continuation dans vos recherches!
Marie Létourneau
UN GRAND MERCI AUX PHOTOGRAPHES :
MYRIAM PAQUET-GAUTHIER (photos #1 et 5), DAN NGUYEN (# 4), ANDREA RAPER (# 2 et 3), YVES GRATTON (# 6, 7 et 8) ET FINALEMENT DENIS POHLER (# 9) POUR SON CLICHÉ DE LA PARTIE DE HOCKEY AU NORD DU NORD.
MYRIAM PAQUET-GAUTHIER (photos #1 et 5), DAN NGUYEN (# 4), ANDREA RAPER (# 2 et 3), YVES GRATTON (# 6, 7 et 8) ET FINALEMENT DENIS POHLER (# 9) POUR SON CLICHÉ DE LA PARTIE DE HOCKEY AU NORD DU NORD.